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De la fin de l’infotainment ou de la propagande organisée

J’ai réalisé une tribune sur la fin (possible) de l’infotainment et de la propagande organisée par cette nouvelle forme de divertissement par le rire moqueur et les sarcasmes. Cette tribune est parue dans Entreprendre.

La stupidité du XXIème siècle
(10ème partie)

 

Le départ de BFMTV de Laurent Ruquier, fin décembre 2023 suite à ses faibles audiences, marque un double tournant : d’abord, il prouve que CNEWS et Pascal Praud ont les reins bien plus solides qu’on ne veut le croire ailleurs (voir l’article sur l’animateur de « L’heure de Pros » dans le Figaro Magazine[1]) mais c’est aussi la fin de l’info-divertissement (voir la tribune de Robert Lafont dans le site d’Entreprendre[2]).

 

Les 4 minutes de haine bon teint

Les deux dernières décennies ont inventé un produit marketing télévisuel où l’on tournait tout en dérision, à la fois pour s’amuser mais aussi pour se moquer de ce qui paraissait trop sérieux ; pour dégonfler la baudruche et mettre à terre ceux qui nous dépassaient d’une tête. Thierry Ardisson était champion dans le domaine, puisqu’il recevait des invités, qu’il piégeait bien souvent, (voir Maurice G.Dantec, Alexandre Jardin, Mila Jovanovic, etc.) et tandis qu’ils répondaient à ses questions, les invités étaient régulièrement coupés par des blagues humiliantes faites pour les tourner en dérision et amuser le public. C’était une sorte en lynchage par le rire. On assistait là à ces 4 minutes de haine bon teint qui délectaient une foule de gens anonymes, comme un bon moment cathartique où l’on prenait sa revanche sur les forts.

 

De la dérision à la désinformation

L’émission de Ruquier jouait sur cette même corde sensible, n’hésitant pas à mêler le gentil et le méchant parmi les journalistes qui interrogeaient les invités (le camp du Mal : Éric Zemmour et le camp du Bien : Michel Polac rapidement remplacé par Éric Nauleau). Les journalistes étaient volontairement vaches, et l’on se marrait de voir ce beau petit monde propret passé à tabac (leur orgueil en prenant un coup !) – Bernard Tapie et Francis Lalanne ayant particulièrement sur-réagi à ce traitement de faveur. Yann Barthès s’est illustré depuis une dizaine d’années au moins, dans ce lynchage par le rire, de tout ce qui ne correspond pas à son idéologie de gauche libertaire. Son ricanement décontracté, proche d’une certaine bourgeoisie éduquée, mais sensible à toutes les causes humanitaires et humanistes qui font bonne figure en société, est celui du sale gosse piquant et insolent qui faisait rire autrefois en classe, mauvais garçon mais bon élève, poil à gratter et fils de bonne famille, rebelle des bacs à sable et gendre idéal. Cette destruction des valeurs par le rire moqueur, par la dérision et la désinformation, est la définition parfaite de ce mélange ludique d’information et de divertissement qui sied à une jeunesse informée mais pas trop, insolente et décalée, tout en étant aisée et bien peignée, sensible au bashing et au vide plutôt qu’à la rigueur du journalisme d’investigation. Tout doit être transformé en dérision pour cette jeunesse de trentenaires bobos, parce que tout doit est dérisoire – sauf Marine Le Pen à laquelle il faut faire barrage !

 

De la manipulation à la propagande

Les deux dernières décennies auront ainsi été fatales à la politique et aux débats, puisqu’on ne devait plus rien prendre au sérieux, sinon les grandes causes de la gauche morale et culturelle, dont Ardisson (monarchiste de gauche), puis Barthès et Ruquier, tous s’en faisaient les grands défenseurs (voir par exemple le lynchage en règle de Zemmour lorsqu’il était venu présenter son Premier sexe ou Doc Gynéco qui soutenait Sarkozy durant sa campagne). Tout ce qui était haut, noble, complexe, difficilement compréhensible devait être raillé, rabaissé, humilié par le rire, les blagues et les moqueries. On sanctionnait les propos politiques qui déplaisaient aux lunes idéologiques de la gauche par les huées du public et les propos bien-pensants par de lourds applaudissements. Mais tout cela fait aussi partie de ce que Jean-Yves Le Gallou appelle « la société propagande »[3], et cela appartient aux manœuvres de ce qu’il appelle les « démolisseurs de la civilisation », et dont les moyens utilisés sont les ressources audiovisuelles, la publicité, le sport-spectacle, les films, les séries, et l’instrumentalisation des entreprises. On entrevoit bien ici, dans ce panorama, l’infotainment, qui n’est rien d’autre qu’une destruction en règle de l’information pour lui substituer de la propagande.  

 

L’effondrement des audiences

Un peu comme les studios Disney qui, accusés de wokisme, sont tombés en disgrâce aux États-Unis[4], la fin de Ruquier, avec des chutes d'audience vertigineuses, et le succès de Pascal Praud, sur une chaîne dénoncée par de nombreuses personnalités politiques et journalistiques du service public, prouve que le public n'est plus dupe. Il a compris qu’on ne voulait rien d’autre que l’endoctriner, à travers la télévision, le cinéma, la chanson, les annonces sonores dans les transports publics, les panneaux publicitaires omniprésents, les bandeaux sur les réseaux sociaux, etc.  Il est désormais clair que l'infotainment n’est rien d’autre sinon un concept marketing venu des États-Unis pour manipuler l'opinion publique et nier le réel. Hier, dans les années 70, 80 et 90, on manipulait la réalité. Avec l'arrivée d'Internet, on s'est mis à la nier. La politique était alors présentée sous la forme d'un divertissement sadique, et dans les émissions de politique spectacle, l'on passait littéralement à tabac les invités, en les raillant et les ridiculisant par le rire. Cela venait alors se substituer à la violence physique et cela permettait de faire passer la pilule. C'est probablement l'une des choses les plus regrettables qu'on ait pu vivre ces deux dernières décennies, avec le lavage de cerveau par les réseaux sociaux, car cela a permis un affaissement dramatique de l'autorité, des débats, brouillant volontairement les pistes et égarant le public. Et c’est ainsi, que la propagande, que l’on appelle plutôt « communication », le contrôle du comportement social, ou mieux le « goulag mental », pour reprendre le terme de Jean-Yves Le Gallou, de notre société de divertissement aujourd’hui, puisque cela passe par l’actualité, la publicité, les films, les séries, les jeux vidéo, les spectacles sportifs, les fêtes officielles ou associatives, etc., voit un terme aujourd’hui dans une société qui est en demande d’un tout nouveau discours.

 

L’info en continu

On peut évidemment déplorer que l’infotainment soit remplacé par l’info en continu. Pierre Rimbert, dans un article du Monde diplomatique, s’est même demandé s’il ne fallait pas interdire l’info en continu[5] (toujours cette même manie de vouloir tout interdire !) S’attaquant à toutes les chaînes d’info en continu (LCI, CNews, BFM TV, France 24, Franceinfo), le journaliste écrit les choses suivantes : « Écrans divisés, bavardages d’experts et joutes d’invités politiques, simulacres de débat, directs sans contexte, faits divers crapoteux érigés au rang de déflagrations cosmiques, injonctions à réagir à chaud, saucissonnages des petites phrases postées sur les réseaux sociaux et reprises en bandeau des commentaires qu’elles suscitent : le modèle à bas coûts de ce genre audiovisuel a été maintes fois détaillé. Deux nuisances principales en découlent : l’information en continu produit et cadre l’actualité plus qu’elle n’en rend compte ; elle n’informe pas, mais sature l’audience d’un brouillard d’images et de paroles. » La charge est consistante, et les cartouches utilisées sont tellement chargées, qu’on a peine à croire que le journaliste en question peut être tout à fait honnête. Il est toutefois vrai que les chaînes infos inquiètent autant qu’elles indignent, d’abord parce qu’elles traitent de sujets d’actualité assez inhabituels sur les chaînes publiques, notamment la montée de l’insécurité et l’immigration massive (ce qui fait dire à quelques personnes qui n’ont plus peur de rien, que BFMTV et CNews sont des chaînes à caractère raciste), mais c’est aussi autant de parts de marché en moins pour les chaînes plus généralistes, et c’est un danger pour le politiquement correct, qui vole en éclats avec l’arrivée de nouveaux journalistes moins formatés que d’habitude. C’est une des raisons aussi, pourquoi le succès pourtant toujours croissant de CNews interroge autant qu’il inquiète. Chaîne de Bolloré, la télé dite de « droite » grignote de plus en plus de parts de marché à l’info de gauche servie par les chaînes publiques. Et, évidemment, Médiapart s’indigne face à son envol[6]. On pourrait peut-être se demander, si ce succès toujours plus important ne relève pas décidément d'un désir des spectateurs désormais de retrouver un fond de sérieux dans les débats, (l’émission L’heure des pros 1 & 2 se divisant en deux temps : le matin, une analyse sérieuse des informations, et le soir, des analyses plutôt détendues, version « machine à café ») où les Français y retrouvent des remarques ou des analyses plus proches de leurs préoccupations et de leurs opinions, plutôt qu’un capharnaüm de propos déconnectés de leur réalité quotidienne. Chose que l'infotainment ne permet pas, puisqu’elle fait croire qu'il y a plus de proximité et de sincérité, là où, en réalité, on ne trouve que communication et négation du réel.

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[1] « Sur CNews et Europe 1: Pascal Praud, le dynamiteur d’audiences », par Pierre de Boishue, 22/12/202.

[2] « Le départ de Laurent Ruquier sur BFMTV marque-t-il la fin de l’info-divertissement ? » : https://www.entreprendre.fr/le-depart-de-laurent-ruquier-sur-bfmtv-marque-t-il-la-fin-de-linfo-divertissement/

[3] La société de propagande. Manuel de résistance au Goulag mental est un livre paru sous l’égide de l’Institut Iliade aux éditions de la Nouvelle Librairie en 2022.

[4] Voir : https://www.lefigaro.fr/cinema/accuses-de-wokisme-les-studios-disney-tombent-en-disgrace-aux-etats-unis-20230627

[5] « Interdire l’information en continu ? », par Pierre Rimbert, Le Monde diplomatique, de juin 2023, p. 28.

[6] « L’inquiétude du monde éditorial face à l’envol de Bolloré », par Antoine Perraud, le 16 janvier 2022.

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