Macron soigne sa droite
Si l’on avait annoncé cela six mois plus tôt aux personnes dont la sensibilité politique est à gauche, s’accrochant à Élisabeth Borne, Mohicane venue du Parti socialiste et caution d’une politique plutôt culturelle et sociale à gauche d’Emmanuel Macron, ce grand seigneur du « en même temps » qui a toujours masqué sa véritable aspiration à droite, une droite conservatrice dont il ne s’est jamais départie, personne ne vous aurait cru. Cette tribune a paru dans le site du magazine Entreprendre.
C’est pourtant acté : le nouveau gouvernement est bien à droite toute ! Et l’âme de Guy Bedos de subitement planer au-dessus de nos têtes : « Ça devient difficile d’être de gauche. Surtout quand on n’est pas de droite. » Enfin, et plus sérieusement, on a surtout en mémoire cette remarque de Gérald Darmanin, son actuel ministre de l’Intérieur, lorsqu’il fustigeait le locataire de l’Élysée : « Il paraît qu’Emmanuel Macron n’est pas un candidat comme les autres. Il paraît. Et chaque observateur y va de son commentaire pour savoir s’il est de droite, de gauche, socialiste, modéré, centriste… Comme le caméléon, Macron change, se transforme sous nos yeux. De gauche, il l’est évidemment, par son histoire, ses actes, son créateur. Mais, ce qu’il est, surtout, c’est populiste. »[1]
Il sera intéressant de revenir sur le populisme de Macron. Mais continuons.
Un ministre de la Culture de droite
Rachida Dati, une figure de proue du sarkozysme, une figure de proue de la droite conservatrice et libérale, entre au gouvernement, et Macron faisant ainsi un enfant dans le dos à tous les socialistes qui ont voté pour lui, croyant qu’il ferait une politique bien à gauche culturellement, économiquement et moralement. En plus de cela, elle est mise en examen depuis juillet 2022 pour « corruption » et « trafic d’influence », ce qui fait gronder certains.
Cela dit, avec Le Maire, Darmanin, Vautrin, Lecornu, Béchu, Bergé, Lebec, et Dati, le coup de tonnerre politique a donné des crampes à un grand nombre de journalistes, preuve en est la Une de Libé, bien claire, bien amère : « Gouvernement Attal : la Sarko connection ». Ne leur en déplaise, disons-le, c’est tout de même une très bonne chose ! On a enfin une ministre de la Culture de droite.
Et pour ceux qui pensent que la culture n’est pas un ministère à sa hauteur, rappelons-leur la phrase de Malraux, en octobre 1963, lorsqu’invité par son homologue québécois, il était alors ministre d’État chargé des Affaires culturelles, il n’hésita pas à affirmer, que « La culture est l’héritage de la noblesse du monde ». Voilà qui est si bien dit, et qu’il faudrait rappeler à nos woke, ambitieux de presque tout effacer.
Jugeons sur pièces
À la suite des positions très personnelles, et parfois excessives, de Rima Abdul-Malak, notamment à propos de la chaîne CNews, du JDD ou de Gérard Depardieu dont elle voulait retirer la Légion d’honneur (quid de celle remise à Vladimir Poutine ?), son sectarisme était devenu insupportable, et c’est une bonne chose de retrouver une personnalité dans ce ministère plus ouverte intellectuellement et culturellement. Mais j’imagine que je fais déjà grincer des dents !
On a aussi bon espoir, que Rachida Dati mettra un frein, pour ne pas dire un terme, à la cancel culture, cette morbide manie de l’effacement, qui ravage notre culture et notre patrimoine au nom d’une diversité et d’une inclusivité, plus proche du totalitarisme que de la démocratisation de la culture, détricotant et détruisant ce qui fait le sel de notre civilisation, au nom de lunes woke venues des États-Unis. Certains annoncent déjà que c’est un paravent de fumée.
D’autres ressortent une archive datant de 2021 où elle traitait les tenants d’En Marche de traîtres de droite ou de gauche. Enfin, vous avez ceux qui crient au reniement. Reniement ? Boris Vian disait à ce propos : « Puisque vous renierez plus tard pourquoi ne pas renier tout de suite. » Alors, jugeons sur pièces ! On sait tous que le parti de Macron a absorbé la droite et la gauche, et on sait tous aussi, que depuis Mitterrand et Chirac, le PS et le PR ne sont plus en phase avec la France d’aujourd’hui (2% et 4,8% au premier tour de la campagne présidentielle de 2022)[2].
Mais Mitterrand était-il socialiste ? Et Chirac de droite ? Thibaud n’ayant pas hésité à dire du vainqueur de mai 1981, qu’il avait « agi à son aise avec les valeurs »[3]. Nous nous en tiendrons pour dit.
Macron crée une droite nouvelle
Jordan Bardella, cet héritier sans passé (comme le titre les Échos), est toujours en tête des intentions de vote d’après un nouveau sondage. Récoltant 27 % pour les élections européennes de 2024, la liste Renaissance n’obtient, elle, que 19 %[4].
Macron, qui a nommé Rachida Dati et l’a imposée dans le gouvernement d’Attal, a certainement compris que le danger venait de cette droite de plus en plus plébiscitée par les électeurs, et qu’il sera de plus en plus difficile de diaboliser à l’avenir. Alors que les tenants des Républicains hurlent à la trahison avec la prise de guerre macronienne et le ralliement de Rachida Dati, ces derniers, sourds ou malentendants, ne semblent rien comprendre à leurs sympathisants, puisqu’ils votent massivement Macron depuis 2017.
On peut aussi souligner l’effet cosmétique de ce nouveau gouvernement si ça nous chante, et dont l’ancienne garde des Sceaux est probablement la recrue la plus emblématique, – saluons tout de même son discours lors de sa passation de pouvoir rue Vallois, plus structuré, moins vulgaire que celui tenu par la ministre sur le départ, l’une vouvoie l’autre tutoie, l’une prend un ton rigoureux et sérieux l’autre prend les postures d’une collégienne qui présente son dossier de fin d’année. Ce « débauchage », le mot est de Georges Fenech dans L’Heure des pros, est aussi et très certainement le meilleur coup de marketing politique joué par Macron en ce début d’année. En même temps – on y revient toujours au « en même temps », – tout se concentre depuis déjà quelques années à l’Élysée.
La photo de famille du gouvernement devient alors un excellent produit d’appel pour les électeurs aux prochaines européennes, à la fois Attal (34 ans) contre Bardella (28 ans), mais aussi une classe politique que l’on doit renouveler pour lui faire subir un excès de jeunisme – bientôt les vieux briscards faisant ici leur dernière apparition très certainement seront remplacés par ces jeunes aux dents longues afin de plaire à un électorat qui demande toujours plus de renouvellement, Wait & See !
C’est aussi l’effet « Nouveau Monde », qui entend faire passer des idées progressistes, mais donne en même temps un coup d’arrêt aux idées de gauche, et signe par la même occasion un chèque (presque) en blanc à celles de droite, avec une reprise sarkozyste, notamment de ses idées, pour affronter en 2027, une réalité que beaucoup redoute : l’arrivée au pouvoir du RN.
Priorité nationale
Pensons aussi aux réalités concrètes. Les premiers chiffres annuels de la délinquance pour 2023 sont sortis avec tous les indicateurs des violences en hausse, les coups et blessures volontaires atteignant le record de 362.000 faits l’an passé, près de 1000 agressions par jour en moyenne (Source : SSMSI/Le Figaro), sans compter ce nouveau record franchi en 2023 des demandeurs d’asile selon les données Eurostat de la Commission européenne (Source : Le Figaro).
Que peut faire Macron (qui a toujours ressemblé à Sarkozy depuis son premier mandat, et Sarkozy qui n’a jamais caché qu’il avait voté Macron en 2022, au 1er tour) sinon donner à son gouvernement la couleur et l’aspect d’un gouvernement à droite toute, un gouvernement qui a tout intérêt à renforcer l’autorité de l’enseignant à l’école, renforcer l’autorité du policier, en faisant diminuer l’insécurité, tout intérêt à donner un tour de vis à l’immigration massive et illégale, qui devient un vrai problème politique.
Bardella, le poulain de Marine Le Pen, qui a un programme économique très à gauche mais un programme sécuritaire très à droite, ne pas oublier les déclarations récentes de Le Pen : « Contre la droite du fric et la gauche du fric, je suis la candidate de la France du peuple ! »[5], promet de stopper l’immigration, combattre l’islamisme et relever le pouvoir d’achat, dans le but de « rendre leur argent » et « leur pays » aux Français, grâce à un emprunt national et 68,3 milliards d’euros de recettes[6]. Si donc la priorité nationale n’est pas exactement affichée par le nouveau gouvernement, la couleur politique de ce dernier montre bien que le RN est devenu à la fois l’adversaire à abattre, mais aussi le parti dont il faudra s’inspirer à l’avenir.
Et c’est ainsi que Macron, fort de ses vraies convictions, soigne sa droite.
[1] « Le bobopopulisme de Monsieur Macron », Tribune libre de Gérald Darmanin, L’Opinion, le 25/01/2017.
[2] Les deux partis traditionnels de la Ve République se sont effondrés à la dernière présidentielle, avec Le Parti socialiste et Les Républicains qui ont connu leurs plus bas historiques lors d’une élection présidentielle, la candidate socialiste Anne Hidalgo recueillant 2% des voix au premier tour, tandis que Valérie Pécresse obtient 4,8% des suffrages, selon une estimation Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France, France24/RFI/MCD, Public Sénat/LCP Assemblée Nationale et Le Parisien-Aujourd’hui en France (source France info).
[3] Voir à ce propos : https://www.lhistoire.fr/d%C3%A9bat-mitterrand-%C3%A9tait-il-socialiste
[4] Voir le JDD : https://www.lejdd.fr/politique/europeennes-2024-jordan-bardella-toujours-en-tete-des-intentions-de-vote-140538
[5] Marine Le Pen, 5 février 2017, Assises présidentielles de Lyon, dans frontnational.com, paru le 5 février 2017 de Marine Le Pen
[6] Pour voir son programme : https://www.lesechos.fr/elections/candidats/presidentielle-2022-le-programme-de-marine-le-pen-decrypte-1396786