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Les origines de la philosophie

Où commence la philosophie ? C'est la question que se pose Jean-Pierre Vernant dans une conférence intitulée Les origines de la philosophie. Je fais le point dans l'Ouvroir.

Afin de circonscrire l’origine de la philosophie, Jean-Pierre Vernant par de la question du commencement, qui peut s’entendre de deux façons, dont ses frontières, ses marges et sa naissance, lieu et date, afin de distinguer son identité, son origine, ce qui nous permettra d’en déduire sa définition, ce qu’elle n’est pas. Mais pour cela, il nous faut comprendre pourquoi elle est apparue, ce qu’elle a ouvert comme nouveaux champs de réflexion, comment elle a délimité l’espace du savoir afin de faire émerger une connaissance. Elle a aussi donné naissance à la rationalité et au discours, à la personnalité du philosophe, qui n’a aucune fin utile, qui n’exerce pas un métier politique ou religieux dans la cité, et qui donne lieu à un personnage dont l’existence s’enracine dans ses origines.

Si tout commence au VIe siècle avant notre ère, il est encore établi que les trois Milésiens Thalès, Anaximandre, Anaximène soient au plein sens du terme des philosophes. D’abord, le mot n’existe pas encore. C’est dans un fragment d’Héraclite que le vocabulaire nait, avec le mot « philosophos » au Ve siècle, puis il aura véritablement droit de cité avec Platon puis Aristote, recevant une valeur précise, technique, polémique même, car, se dire philosophe selon Platon, c’est finalement affirmer son opposition à ses devanciers, à cette idée de savant, d’expert de la parole, de maître de la persuasion, de savoir universelle, fondant ainsi le statut de la discipline, qui cherche à repousser ce qui n’est pas de l’ordre du philosophe authentique.

Pourtant, le statut des Milésiens continue de faire problème.

Ils existent dans une cité archaïque dont le cadre est fondamentalement oral. Or, leurs textes tranchent avec le savoir qui est stocké dans des compositions épiques, des récits légendaires, puisqu’ils sont écrits en prose, et qu’ils exposent, certains phénomènes naturels, l'organisation du cosmos, tout en proposant une théorie explicative. Il s’agit donc désormais de rendre raison au phénomène sans en nommer le père ou la mère, ou à établir sa filiation. Les Milésiens recherchent un ordre immanent à la nature, principes permanents sur lesquels repose le juste équilibre des divers éléments dont l'univers est composé, abandonnant tous êtres surnaturels dans ses schémas explicatifs. Désormais la nature envahie tous les champs du réel. C’est la phusis, dans sa permanence et sa diversité qui prend la place dans anciens dieux.

En cherchant à proposer une théoria, ils donnent à voir dans un cadre spatial, et sont en grande partie à l’avènement de la polis, la cité. Voilà comme est apparue la sophia au milieux des hommes, une sagesse toute pénétrée de réflexion morale et de préoccupations politiques. Ce nouvel ordre du monde est géométrique, égalitaire, solidaire et inspire les institutions de la polis.

Le surnaturel ne fascine plus. C’est au tour de l’étonnement, de l’interrogation, du questionnement de séduire. La méthode est nouvelle : pour atteindre son but, un discours explicatif doit être exposé. La théoria du physicien se prête désormais à la critique et à la controverse. Apparaissent comme nouvelles règles du jeu intellectuel, la libre discussion, le débat contradictoire, l'affrontement des argumentations contraires. Contre les croyances communes s’imposent vérité ouverte, accessible à tous et qui fonde sur sa propre force démonstrative ses critères de validité.

C’est désormais le tribunal du logos qui valide les discours des physiciens et ceux du philosophe, ce qui permet de faire émerger des savoirs qui étaient jusque-là dissimulés pour le commun dans l’invisible. Nous vivons alors l’acte de naissance de la philosophie dont le but est d’enraciner la pensée rationnelle dans une exigence qui combat le mythe, et affirme une nouvelle intelligibilité portée par le concept, dans une dialectique qui, de système en système engendre l’histoire de la philosophie grecque.

LES ORIGINES DE LA PHILOSOPHIE, Jean-Pierre VERNANT, Professeur honoraire au Collège de France, Conférence donnée le 04/11/2003, à Sèvres, au Sel.

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