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Pierre Loti, l'âme d'un évadé

Ce portrait de Pierre Loti m'a été commandé par Livr'arbitres pour son numéro 48 et son dossier spécial consacré aux écrivains-voyageurs.

« Loti commença très tôt à tenir son journal comme une défense contre l’anéantissement final qui l’obsédait. »

Leslay Blanch[1].

 

 

Pierre Loti, l’évadé ! Pierre Loti, l’adulé ! Pierre Loti, l’oublié !

 

L’âme d’un évadé

Cet oubli de l’écrivain académicien est d’autant plus étonnant qu’il fut admiré, voire glorifié toute sa vie. Enfin, étonnant, l’est-ce tant que cela ? Dans son livre sur l’écrivain-voyageur, la première épouse de Romain Gary, aventurière intrépide, grande romancière et biographe, Leslay Blanch écrit : « Puisque Loti était destiné à devenir non seulement l’un des écrivains les plus admirés de son temps, mais aussi un homme dont les voyages autour du monde furent marqués par les relations les plus chaudes et les plus ambiguës, c’est ici le lieu de raconter son premier contact, à seize ans, avec ce qu’il devait décrire comme le grand secret de la vie et de l’amour. »[2]

 

Louis-Marie-Julien Viaud, qui n’est pas encore Pierre Loti mais Julien Viaud, est né en France en 1850, à Rochefort. Il n’a aussi que treize ans lorsqu’il annonce qu’il deviendra marin. Quatre ans plus tard, il entre à l’école navale. Il passe sa première année d’apprentissage sur le Borda. Il fréquente de vieux officiers vétérans ayant servi dans la marine de Napoléon. Le voilà mêlé à ce passé héroïque ! Certes, « il avait la nostalgie de son foyer [...] il regrettait sa famille, son piano, et la campagne de la Limoise au vert si doux »[3], écrit Leslay Blanch, mais on peut imaginer le bonheur de ce jeune garçon, qui embarqua l’année suivante à bord du bateau à hélices Jean Bart allant à la découverte d’Alger, ce qui fut son premier contact avec l’islam, puis en Amérique du Sud.

 

L’âme d’un évadé était née.

 

L’âme d’un adulé

À la mort de son père toutes les dettes de la famille retombèrent sur Julien qui n’était toujours pas Loti. L'inspiration de ce pseudonyme lui viendra lors de son voyage à Tahiti en 1872, alors que durant son séjour, les suivantes de la reine Pomaré-IV le surnomment Loti, du nom d'une fleur tropicale. Le 19 juillet 1870, la guerre est déclarée et il part vers les côtes françaises sur le Jean Bart. Une fois son apprentissage terminé, et transféré sur le Flore en 1871, le voilà envoyé en haute mer. En route vers l’Île de Pâques. Sur l'aviso à roues Pétrel en 1873, cap sur les côtes de l'Afrique occidentale française. En 1877, ce sera la Turquie, où il y fait la rencontre d’Hatice, ce qui lui inspirera Aziyadé, écrit en 1879. Son deuxième roman, Le voyage de Loti (1880), fruit de cette rencontre amoureuse, du voyage et de l’écriture, est un roman d’amour et de mélancolie qui se termine sur la mort des amants : « Les heures, les jours, les mois, s'envolaient dans ce pays autrement qu'ailleurs ; le temps s'écoulait sans laisser de traces, dans la monotonie d'un éternel été », écrit-il, non sans lyrisme.

 

De son voyage au Sénégal sortira Le Roman d’un spahi, paru en 1881. À ce propos, Leslay Blanch écrit : « C’est la nature largement autobiographique de ces trois premiers livres qui les rend si révélateurs, si obsédants, si essentiels pour comprendre la nature complexe de Loti. »[4]

La notoriété littéraire vient cependant avec le succès phénoménal de ses romans Pêcheur d'Islande (1886), Madame Chrysanthème (1887) ou encore Les Désenchantées (1906), ainsi que par ses nombreux récits de voyages. C’est à 41 ans à peine, le 21 mai 1891, qu’il est élu à l'Académie française au fauteuil 13 et en remplacement d’Octave Feuillet, au sixième tour de scrutin par 18 voix sur 35 votants contre Émile Zola.

Plus jeune académicien français, Loti est né sous une bonne étoile !

 

L’âme d’un oublié

La postérité n’a pas oublié Loti. Il n’est cependant plus un écrivain mis au premier plan aujourd’hui. Pourquoi ? Ne serait-il pas assez « woke » ? En 2018, alors que le président de la République visitait la maison de Loti, une tribune dans Le Monde dénonçait certains de ses textes « d'une violence inouïe à l'égard des juifs et des Arméniens », ce à quoi le chef de l’État répondit qu’il ne fallait pas « avoir de combats anachroniques ». La vraie question n’est-elle pas proustienne cependant : distinguer une fois encore l’homme de l’œuvre ? Répéter « qu'un livre, comme l’écrit Proust, est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. »[5] 

 Voyageur et découvreur, ses premiers ouvrages étaient remplis de croquis dessinés au crayon ou au pinceau, avant que l’appareil photographique ne prenne le relais. On retrouve aussi de nombreux thèmes dans ses romans, notamment l’amitié et l’amour, la solitude et la rencontre, le temps et la mort. Loti était obsédé par l’anéantissement. De ce jeune garçon qui voulait d’abord devenir pasteur, puis missionnaire, on retient de ce mysticisme et de ce catholicisme qui le menèrent tout autour du monde, une passion pour les géographiques lointaines.

C’est aussi, après une dernière mission en Égypte, qu’il fut mis à la retraite en 1906 avec le grade de capitaine de frégate de réserve.

 

Outre les basses polémiques qui passeront avec le temps, rappelons-nous d’un écrivain qui navigua vers l’autre, l’ailleurs, se faisant témoin des divers mondes, des multiples cultures autour de la planète. Rappelons-nous de cet homme, qui, entrant à l’Académie française, déclarait dans son discours : « J’étais loin de France, naviguant sur un des cuirassés de l’escadre et arrivé de la veille au port d’Alger, le jour où votre compagnie, Messieurs, me fit le grand honneur inattendu de me donner ici la place vide qu’Octave Feuillet avait laissée [...] et moi, par incrédulité absolue de ce grand triomphe, [...] j’avais passé mon temps, l’esprit distrait et presque sans pensée, à errer tout en haut du vieil Alger, [...] un des lieux du monde où j’ai toujours rencontré le sentiment le plus intime, et aussi le plus calme du néant des choses terrestres… »

 

Le propre même de l’âme désintéressé.

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[1] Pierre Loti, l’évadé, (1983), rééd. Paris, Le Passeur, 2023, p. 23.

[2] Idem, p. 81.

[3] Idem, p. 109.

[4] Idem, p. 123.

[5] Contre Sainte-Beuve (1954).

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