La femme dandy

Cet article m'a été commandé par la revue Phalanstère.
Au pays du dandy, la femme, à défaut d’être reine, occupe une place. De l’artiste à l’aristocrate, ou de l’aristocrate à l’artiste, le dandysme semble aux yeux de tous, une caractéristique bien masculine. C’est précisément une erreur, et c’est d’ailleurs Baudelaire lui-même, au XIXe siècle, qui nous le dit au chapitre XI de son livre Le Peintre de la vie moderne, chapitre intitulé « Éloge du maquillage » : « La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce de devoir en s'appliquant à paraître magique et surnaturelle ; il faut qu'elle étonne, qu'elle charme ; idole, elle doit se dorer pour être adorée. Elle doit donc emprunter à tous les arts les moyens de s'élever au-dessus de la nature pour mieux subjuguer les cœurs et frapper les esprits. » Le dandysme, cette création de soi, comme l’écrit le philosophe Daniel Salvatore Schiffer dans un livre mémorable[1], n’est pas une simple esthétique, mais un mode d’être, un style de vie, une expression de soi.
De George Sand, qui se promenait au bras du dandy très célèbre Alfred Musset, affublée d’une redingote, d’un pantalon et d’un haut-de-forme, ou Sarah Bernhardt, qui jouait des rôles d’hommes au théâtre, le XIXe siècle voit chez la femme, le port de l’habit masculin et de la cravate ; cela contribuera au XXe siècle à la mode de l’androgyne (dont David Bowie fut un digne représentant).
On peut ainsi ajouter, à la longue liste de dandys célèbres, une liste prestigieuse de femmes, actrices, couturières, chanteuses, ou encore écrivaines : Colette, Coco Chanel, Marlène Dietrich, Greta Garbo, Audrey Hepburn, Françoise Sagan, Grace Jones en sont des exemples de poids. Parmi celles-ci, on trouve des looks très masculins, à la limite de la garçonne, notamment Marlène Dietrich, dont le port du pantalon marque la masculinité, mais aussi ce masque sur le visage où semblent se côtoyer l’ange et le démon. Son dandysme avait pour objectif de s’émanciper des codes de séduction de son époque, afin de revendiquer pour la gent féminine une nouvelle liberté. Sans réduire toutes ces femmes à des féministes qui s’ignorent, on peut dire qu’elles ont ouvert des portes à une vague d’émancipation de femmes jusque-là cantonnées au statut de ménagères ou de « petites filles » éternelles cachées dans les pantalons de leur mari. Si, donc, l’aspect androgyne chez la femme choque moins au XXIe siècle, on peut toutefois remarquer qu’il n’a pas fallu que ces femmes dandys souscrivent aux revendications féministes pour être des femmes libres. Simone de Beauvoir ou Antoinette Fouque n’ayant, ceci dit en passant, jamais été masculines dans leur aspect ni dans leurs choix vestimentaires.
On trouve deux femmes précurseurs du dandysme féminin : Madame de Staël, par son « amour de la gloire » et son « dégoût de l’existence », mais aussi Lillie Langry, dite « le lys de Jersey », grande amie d’Oscar Wilde et maîtresse du prince de Galles, grande séductrice et diva à la beauté troublante, nous rapporte Daniel Salvatore Schiffer[2]. Et, tel que nous l’avons indiqué plus haut, l’artifice suprême du dandysme au féminin vient du maquillage, « variante esthétisante et sophistiquée du masque. »[3] C’est ainsi, que du maquillage hier au tatouage aujourd’hui, la femme rejoint ce fameux dandy qui n’est autre qu’un personnage poétique, comme l’écrit à juste titre Teona Micevska,[4]. Et, à propos de cette métaphysique des apparences, dont parle Baudrillard, il faut lire ce qu’en dit Roland Barthes[5].
Cela nous amène à nous demander s’il existe bien une place pour la femme dandy. Plongé dans une époque qui entend se débarrasser du patriarcat (terme commode), de la virilité toxique (élément de langage néoféministe), cette expression même du masculin dans le féminin peut choquer quelques bonnes âmes. Il y a pourtant quelque chose d’androgyne dans l’homme dandy lui-même, ce qui semble apporter la contradiction à cette idée, probablement fausse, que le dandysme au féminin serait une virilisation de la femme. Tel que le montre Daniel Salvatore Schiffer par la figure de l’écrivaine Françoise Sagan, le style de vie de la romancière, sa consommation excessive de whisky et de cigarettes, sa passion pour la vitesse, ses dépenses folles au casino et ses excès en tout genre ajoutés à sa grande liberté assumée en faisaient une dandy, qu’il n’est pas utile de faire précéder par le mot femme[6].
Le dandysme n’a pas de sexe, pas plus qu’il n’a de genre. Laissons à ce qu’on appelle aujourd’hui les gender studies, le soin de distinguer les gens pour établir des catégories ou des hiérarchies fantasmées. La « dandy woman » a toujours existé auprès du dandy, ni en dessous ni à côté, mais en phase avec ce que l’on peut largement rapprocher du culte du moi.
Publié dans la revue Phalanstère en février 2025.
______________________________
[1] Le Dandysme, La création de soi, Paris, Éditions François Bourin, Paris, 2011.
[2] Idem, p. 163.
[3] Idem, p. 166.
[4] Modernist Women Sandies. Poetry, Photography, Authorship, Lausanne, Peter Lang, p. 147.
[5] « Le visage de Garbo », cité par Daniel Salvatore Schiffer, Le dandysme dernier éclat d’héroïsme, Paris, PUF, 2010, p. 123-124 : « Le visage de Garbo représente un moment fragile [...] où l’archétype va s’infléchir vers la fascination de figures périssables, où la clarté des essences charnelles va faire place à une lyrique de la femme », in Mythologie, Paris, Le Seuil, p. 78.
[6] Voir à ce propos Le Dandysme, op. cit., p. 246.