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« Messieurs les censeurs, bonjour ! » La fin de la liberté d’expression ?

Une nouvelle affaire de censure vient de tomber. Je m'en fais l'écho dans La Tribune juive.

Le débat des idées et la liberté d’expression se trouvent aujourd’hui compromis, remis en cause par une vague déferlant d’outre-Atlantique, et que l’on nomme bien maladroitement le « wokisme ». Qu’importe si la pensée woke existe ou pas ! Ce que l’on en retient, c’est qu’il est de plus en plus difficile aujourd’hui de continuer à diffuser des idées ou de débattre avec ses contradicteurs, lorsqu’on est en désaccord avec la propagande idéologique qui gagne et contamine les cerveaux.

 

Qu’en est-il de la liberté d’expression aujourd’hui ? 

 

Pour ceux qui sont en âge de se souvenir du 13 décembre 1971, lors de l’émission télévisée « À armes égales », rappelez-vous, Maurice Clavel découvrant un passage de son reportage concernant le président Pompidou coupé au montage, et décidant de quitter le plateau, s'adresse aux producteurs en ces termes : « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » Cette époque nous a longtemps semblée révolue. Révolue ? Vraiment ? Hélas, la censure se réinvite aujourd’hui dans les débats. Et, ce que le philosophe Daniel Salvatore Schiffer a vécu récemment avec la prestigieuse fondation Henri La Fontaine, du nom de l’homme politique et pacifiste belge prix Nobel de la Paix en 1913, en dit long sur l’époque dangereuse pour la liberté de la littérature et de la presse.

 

Quel crime ce philosophe a-t-il donc commis ? Revenons sur les faits : très récemment, Daniel Salvatore Schiffer, se battant sur tous les fronts pour que la liberté et l’universalité vivent, auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages philosophiques, dont un magnifique collectif intitulé L’humain au centre du monde[1] et auquel ont participé trente-trois intellectuels majeurs, dont Tahar Ben Jelloun, Luc Ferry, Robert Redeker, Boualem Sansal, Jean-Claude Zyberstein, et bien d’autres, a été invité, pour parler de son nouvel ouvrage, Rockisme contre wokisme[2], en 2024 à Perpignan à un cycle de conférences qui fut organisé par Louis Aliot, maire Rassemblement national de Perpignan, et auquel ont participé l’écrivain Éric Naulleau ou encore le philosophe Michel Onfray, et qui fut intitulé le « Printemps de la liberté d'expression ». C’est tout du moins ce qui est spécifié sur la fiche Wikipédia de l’auteur. Plus récemment, Daniel Salvatore Schiffer décide de réaliser un nouvel ouvrage collectif rassemblant une trentaine d’intellectuels de premier plan afin de défendre la femme afghane et de lui donner une voix et une visibilité en France. Christian Lutz, le directeur des éditions Samsa à Bruxelles décide de le publier, et la prestigieuse fondation Henri La Fontaine en Belgique accepte de soutenir cette heureuse initiative par un financement participatif.

 

Les semaines passent, et le collectif se construit sous la houlette du philosophe. Mais ces jours-ci, coup de théâtre ! La prestigieuse fondation se retire du projet, qu’il est pourtant urgent et essentiel de soutenir, sur le simple prétexte que Daniel Salvatore Schiffer aurait participé à une conférence d’extrême-droite, (c’est tout du moins ce qu’a affirmé le quotidien Libération qui n’est plus à une infamie près !) et qu’il serait par ailleurs trop « sioniste » !

 

L’extrême droite : la marque du diable

 

Quelle est la base des arguments de la fondation ? Je vous laisse juges : le titre de l’article de Libé : « À Perpignan, un salon du livre rien que pour l’extrême-droite ». Quel drame ! Il est vrai qu’y ont participé Onfray, Naulleau et Guaino. Trois intellectuels de premier plan, dont l’un d’entre eux a publié plus de cent ouvrages de philosophie, et dont les propos n’ont jamais, ni de près ni de loin, flirté avec la moindre doctrine fasciste ou nazie. Mais continuons ! Pour le plaisir, allons jusqu’à citer les autres convives (et apprécions le degré de fascisme que représentait ce salon du livre de Perpignan) : Boualem Sansal, Florence Bergeaud-Blackler (lauréate, à ce même Printemps, du prix Franc-Parler), Renée Fregosi, Romaric Sangars, Georges Fenech, Sabrina Medjebeur, Samuel Fitoussi, Driss Ghali, Loris Chavanette, Chloé Morin, Dimitri Casali, Lisa Kamen-Hirsig ou Jean Sevillia. Pour un quotidien d’extrême gauche tel que Libé, on imagine que ces noms ont défrisé les fantassins de la rédaction !

 

Outre cette article diffamatoire, dont Daniel Salvatore Schiffer s’en est fait l’écho dans la presse lorsqu’il a paru[3], ce qui semble plus qu’inquiétant, ce sont les relais naturels qui se font alors, sans discernement, sans vérification, sur la simple parole tenue par un média de gauche. C’est d’autant plus étonnant, que sur une rumeur ou une accusation médiatisée, et sans autre forme de procès, on se trouve plongé dans un roman de Kafka, un procès de Moscou, et votre projet, aussi humaniste, aussi nécessaire soit-il, passe aussitôt à la trappe. Pour cela, qu’une seule méthode : vous accuser d’extrême-droitisme, de sionisme, de fascisme. Le processus d’accusation puis de liquidation étant toujours le même !

 

Blanc et bourreau de droite/Privilégié et martyr de gauche ?

 

À ce niveau-là, on comprend les ficelles d’une méthode rodée : on vise le bourreau blanc ou le Juif en kaki, on le somme de se rallier à la doctrine en vigueur, et toute incartade sera punie d’exclusion, par la mort sociale. Seul le militant d’extrême gauche peut se permettre des incartades, des insultes à l’endroit de ses adversaires, ou même des menaces. Appelons cela « le privilège rouge » !

Dans cette affaire, l’accusé (« levez-vous » !) s’est commis avec des noms qui ont les mains trop sales pour l’ordre moral en vigueur. Or, si je prends la plume à la suite de cette « affaire », c’est parce que cela fait bien trop longtemps qu’on voit les agissements troubles d’une partie de l’échiquier politique et médiatique, toujours les mêmes tactiques, systématisant leurs cabales, couvrant leurs adversaires d’opprobre, empêchant par la force et l’intimidation le débat et la liberté d’expression du débatteur qui oserait remettre en cause leurs croyances. Si donc il m’a semblé nécessaire d’écrire sur cette « censure », disons-le clairement, sinon comment l’appeler ? c’est parce que la rétractation soudaine et non justifiable de la Fondation La Fontaine, est symptomatique d’une époque malade. Malade d’une peste brune à front renversé !

Hélas, le constat est flagrant : nous vivons-là une période détestable, car aucun dialogue n’est plus possible entre les deux camps qui s’affrontent comme deux ennemis assoiffés de vengeance et de sang. Si le débat demeure, voilà qu’il prend une voie à sens unique. Tout esprit dialectique étant interdit. Nous avons tous lu Platon. Nous avons tous vu comment Socrate mettait à l’épreuve les idées de ses interlocuteurs, dans l’amitié de l’échange et le respect de la contradiction. Nous savons tous que réfuter une opinion ne nous donne pas une réponse correcte à nos questions. Que l’interdire ne nous grandit pas ! Et pourtant, notre époque balaye plus de deux millénaires de débats dialectiques d’un coup de main, au nom du Bien, de la morale dominante, de l’idéologie et de la propagande médiatique.

 

Triste époque

Dans cette triste affaire, un livre, dont le seul but était de défendre l’humain, l’humanisme, (au sens des Lumières !) le droit et les Droits de l’homme, est sacrifié sur l’autel de la bien-pensance, de positions irréfléchies, de lieux-communs, de combats bassement politiques, de jeux de pouvoir, de passions tristes. À la raison on préfère aujourd’hui l’émotion et le sensationnel. Qu’importe la nature du projet, on liquidera son auteur, comme jadis on mettait à mort le messager dont on ne pouvait se défaire du message, sur simple suspicion de « complicité » avec l’extrême droite.

 

Autant le dire, c’est une bien triste époque pour la liberté de l’intelligence, et de l’intelligence du partage.

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[1] L'humain au centre du monde. Pour un humanisme des temps présents et à venir. Contre les nouveaux obscurantismes, Paris, Éditions du Cerf, 2024.

[2] Paris, Érick Bonnier, 2024.

[3] « Printemps de la liberté d’expression : quand « Libération » manie l’insulte en guise d’argument », par Daniel Salvatore Schiffer, in Le Point, 09 mai 2024.

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