Pour en finir avec l’illusion idéologique de Mai 68
À quarante ans de distance des événements, ne sommes-nous pas dans l'obligation aujourd'hui de faire le procès à Mai 68 ? Car, enfin, il s’agit véritablement de rompre avec cette farce grotesque, cette révolution de pacotilles, révolution bourgeoise et décadente, qui, encore dans les esprits de notre époque, pollue tous les débats. Je fais le point dans l'Ouvroir.
Dans mon roman Caméra (paru aux éditions CY en 2003), j’écrivais la chose suivante : « Il n’arrivait pas à comprendre cette déroute à l’issue de plusieurs années d’études. Il pouvait bien voir que personne autour de lui ne pensait à comparer tous ces échecs d’aujourd’hui avec les réussites d’hier. Que les aînés toisaient une jeunesse déboussolée qui avait du mal à s’en sortir, et se déculpabilisaient en les accusant d’être bien moins bons qu’eux. Il avait l’intime conviction aussi, que le chômage presque systématique était le désespoir des générations actuelles, et que la faute incombait en grande partie aux seniors – génération 68 – qui n’avaient pas pris la peine, après leur fausse révolution idéologique, de préparer le terrain économique pour les générations suivantes ; jouisseurs conformistes qui s’étaient très vite rattachés à la norme sociale, ils s’étaient arrogés tous les privilèges, tous les honneurs, sans rien laisser derrière eux… » Texte dont je ne renie rien, aujourd’hui encore, bien évidemment. Certes, ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...
Question : peut-on dire qu'il faut faire un procès à Mai 68 ? Oui, il s’agit véritablement de rompre avec cette farce grotesque, cette révolution de pacotille, révolution bourgeoise et décadente qui, encore dans les esprits d'aujourd’hui, pollue tous les débats.
Bien entendu, j’en entends déjà certains qui vont me prendre à partie de façon plutôt virulente dans ce style : « entretenir l'épouvantail, c'est laisser dire et faire dire ces mots, « génération 68 », à tous ceux qui cherchent un bouc émissaire et pendant que l'épouvantail ramasse les coups, les crachats, les insultes... les affaires continuent... Et vous ? Vous agitez l'épouvantail ? vous aidez à le façonner ? vous travaillez pour qui ? » (commentaire lu dans un article paru dans mon blog précédent).
L'espoir sous les pavés de Mai 68
Bien sûr, en intellectuel indépendant, je ne travaille pour personne. Je me pose juste en simple citoyen. Et c’est en cette qualité que j’ai eue le loisir d’observer certains comportements, et l'on pourrait s’interroger sur les moyens que cette génération 68 a mis en œuvre pour que l’on en soit arrivé là. Nous, les jeunes de trente ans. D’abord, ouvrons les yeux juste quelques secondes : Mai 68 n’a jamais été une Révolution. Et pour cause : Alexandre Kojève le disait déjà en son temps, à la suite de Hegel : le révolutionnaire est un homme qui met sa vie et la vie des autres en jeu ; il se met en danger : c’est un maître qui n’a pas peur d’affronter la mort. Ce qu’aucun (ou quasiment aucun – il y en eu c’est vrai, et combien le regrettèrent-ils ensuite, quand ils purent prendre la mesure des résultats réels de cette fausse révolution ?) de ces soixante-huitards n’a fait. À peine étaient-ils de pathétiques plaisantins, fumistes ivres de notoriété et de pouvoir, acteurs d’une tempête dans un verre d’eau. Alors voilà, je maintiens mes positions : mai 68 n’a jamais été une révolution ; au mieux ce fut un échec retentissant.
D’ailleurs, Mai 68 n’étant devenu qu’un mythe, il s’agirait de lancer une étude historique afin de relativiser tous les fantasmes qui ont entouré et qui entourent encore cet évènement. Je n’ai certes jamais prétendu que tous les Français avaient fait Mai 68, pas plus que tous les Français n’ont été résistants, au mieux ce ne fut que quelques dizaines de milliers d’étudiants, enfants de la bourgeoisie parisienne, en rupture avec le père, en rupture familiale, otages d'un complexe d'Oedipe mal résorbé sûrement.
Ce qui me gêne toutefois dans tout ça, ça se résume en un point : le renversement des situations. En 68, le pouvoir était aux mains de quinquagénaires, qui, sans aucun état d’âme, étaient en possession de tout et contrôlaient tout, et avec comme seul argument, pour justifier la domination : le mythe fondateur gaulliste de la Résistance. Que voit-on aujourd’hui ? Une génération de cinquantenaires (les soixante-huitards) domine tous les aspects de la société. Donc, là encore rien n'a changé. Et quel argument ont-ils ? Pas moins que le mythe fondateur de Mai 68 : prétendant avoir changé la société, ils justifient le fait qu’ils tiennent la direction politique du monde. Pire, ce sont des bourgeois déguisés en anar de gôche jadis, qui prétendent avoir rejeté les valeurs bourgeoises en 68, qui posent aujourd'hui comme légitime, qu’on leur accorde notre confiance en ce qui concerne tous les aspects de l’économie, des médias, etc.
Le vrai problème, c'est que Mai 68 ne soit qu'un fantasme français. Posons juste la question : qu'en est-il ressorti ? Un peu moins de rigidité de la part des institutions, un intérêt plus grand porté aux « jeunes ». Ce ne serait pas négligeable si tout cela n'avait pas tourné aux « dérives » actuelles : perte de l'autorité, République quasi-liberticide et jeunesse fragilisée par une attention excessive et sans aucun avenir réel à l'horizon.
Mai 68 en France
Regardez comme le PS ces dernières années, joue étrangement la « mauvaise » partition du : « Touche pas à mon 68 ». Une arnaque aussi improbable que sa sonate « Touche pas à mon pote ». Au PS, c'est carrément une icône. Il suffit de se balader là-bas, de discuter avec quelques responsables, qui avaient vingt ans à l'époque, pour comprendre combien on ne doit pas toucher à leurs idéaux de jeunesse. De plus, je ne partage pas vraiment l'avis général, qui prétend que la génération 68 n'est plus aux manettes du pouvoir aujourd’hui : à la tête des médias, on trouve de nombreuses personnes qui avaient vingt ans à cette époque.
Certes, ils n’étaient pas tous de la fête. Mais nous savons bien que Mai 68 a établi un état d’esprit, et que pas mal d'étudiants en grève à l’époque ont, une fois la fête finie, retourné leur veste, et sont rentrés dans le rang pour embrasser l’avenir que leur offrait « Papa-Maman » ainsi que la société de l’époque. Je peux reconnaitre que c'est très difficile d'avoir sur cette période un regard critique sans être aussitôt taxé des adjectifs les plus négatifs, d’autant que les enjeux socio-économiques, pour ne pas dire géopolitiques, n’étaient pas les mêmes.
Tous ces médiocres reportages « d’autocélébration » de Mai 68 qui sont accompagnés systématiquement du volet à faire vomir : « et les jeunes d’aujourd’hui, alors qu’est-ce qu’ils foutent ? » Avant, on nous gratifiait d’un ancien héros de la révolution, revenant sur ses vieux rêves, tous ses actes héroïques, etc., puis c’était le volet, « et ses enfants ? », avec la comparaison obligatoire. Mais que sont devenus ces enfants-là aujourd’hui ? Eh bien, on dit qu’ils n’ont plus de conscience politique, qu’ils sont incapables de se révolter, qu’ils n’ont même plus de rêves... D’ailleurs, qui n’a jamais entendu ces paroles : « Bravo, je vois que les idées de Mai 68 ne sont pas mortes ! » En effet, elles ne le sont pas, mais la société d'après-68, n’a donné aucun moyen à la génération suivante, pour se réaliser à la hauteur de ses ambitions, et des ambitions de la société. Beaucoup de jeunes aujourd’hui sont des précaires, on parle de « diplômés précaires », et on a beau dire, mais c’est bien la génération 68 de gauche et de droite, qui n’a pas su, (ou pu !) gérer les affaires, afin de prévenir, en tout cas, en partie, la crise dans laquelle nous avons la tête en plein dedans.
Quant à prendre le pouvoir, nous sommes de nombreux trentenaires à le désirer. Mais à l’heure actuelle, nous sommes plus soucieux de préparer notre avenir que de penser au pouvoir, - avenir qui semble bien sombre, et j’évite toute formule trop pathétique pour ne pas tomber dans le cliché sentimentaliste comme on aime tant les utiliser aujourd’hui. Demain, sûrement, certains d’entre nous le détiendront, mais j’ai du mal à croire qu’ils réagiront autrement que la génération actuelle. Ils n’auront pas à supporter l’opprobre d’un passé « révolutionnaire » qu’ils n’auraient su assumer, mais auront-ils changé en comparaison avec leurs aînés ?
La grande mobilisation sociale de Mai 68, en France
Et comme je n’ai pas plus que cela envie de perdre mon temps, avec cette déroute avérée de Mai 68, je vous renvoie à ce livre de Raymond Aron, La Révolution introuvable, Fayard.
Raymond Aron, La Révolution introuvable, 1968