Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ralentissez !

Voici un livre qui nous encourage à réhabiliter le mot lenteur. Dans une collection qui vient de naître, le philosophe et journaliste Mathias Leboeuf nous offre un plaidoyer pour une vie douce, à échelle humaine. Ma chronique a paru dans Le Contemporain.

Capture d’écran 2024-10-23 à 07.49.01.png« La lenteur à mauvaise réputation. » C’est sur ces quelques mots frappés au coin du bon sens, que Mathias Leboeuf, philosophe, journaliste et conférencier, débute ce Petit traité de la lenteur à l’usage des gens pressés (Guy Trédaniel, 2024). Si la lenteur est si haïe, c’est que l’on est souvent par nature impatient. Mais aussi parce que les temps vont de plus en plus vite.

 

L’auteur de ce petit traité ne s’en laisse pas conter, et ces quelques explications en forme d’excuses ne lui suffiront certainement pas. Car nulle raison ne viendra dédouaner le défaut d’être rapide, pressé, agité dans un monde qui ne cesse de courir, et dans lequel un employeur ne comprend pas qu’un salarié voie la lenteur comme une qualité (Une lenteur de qualité, p. 21). L’objet de ce petit traité est donc le suivant, et la question que se pose l’auteur prête beaucoup à se demander quelle méthode le philosophe peut-il employer pour démontrer que la lenteur est une « affirmation positive ». Car il s’agit dans notre monde présent de retrouver ce que les anciens ne regardaient surtout pas d’un mauvais œil : LA LENTEUR !

 

L’idée de ce texte est de débusquer tous les préjugés et les lieux-communs que l’on attribue à la lenteur : « Apathie, mollesse, indolence, nonchalance », etc., la lenteur est frappée du sceau du « manque » (Faire défaut, p. 25). Elle est frappée du sceau du manque par des pavlovismes et des pensées irréfléchies. Être lent, c’est donc être long (Être lent, être long, p. 27). Et même si Milan Kundera a écrit un roman sur la lenteur en 1995, pour sacré celle-ci, est en faire un acte médité et prémédité.

 

Car la lenteur pour Mathias Leboeuf, ce n’est rien de ce que peuvent en dire les « âmes impatientes ». La lenteur a des vertus que la doxa de l’hyper-rapidité ignore. Par exemple, savez-vous que « l’empressement et la frénésie sont parents de l’erreur et de la fausseté » ? Qu’une « certaine forme de sagesse ne peut s’atteindre qu’au prix d’un temps qui fait place à la réflexion et à la contemplation » ? Que « l’impatience est l’ennemie de la réflexion profonde » ?

 

Ce livre est donc le fruit d’une suspension. D’une époché en grec (ἐποχή). Car le but de l’auteur est le même que les stoïciens en leur temps : celui de suspendre le jugement ! Il s’agit de s’arrêter, de dire stop à la frénésie, à la course aveugle, aux journées trop courtes et à l’empressement du temps. En philosophe, mais aussi en pédagogue, Mathias Leboeuf nous invite à « prendre notre temps sur des choses qui pourraient nous faire du bien si elles étaient plus lentes » (Aller vite, p. 57.)

 

C’est ainsi qu’il nous offre un livre à contre-emploi, mais aussi à contretemps. C’est ce que l’on pourrait appeler un livre intempestif, un traité inactuel. Et l’on sent, au fil des pages que l’on lit à la fois facilement mais aussi d’une lecture rapide, parce qu’on y est habitué, que l’on doit ralentir, qu’il faut prendre son temps. Les chapitres sont brefs, et le style est alerte. Mais les mots frappent et l’esprit ralentit. Dans cette jungle du temps qui court, l’auteur nous démontre que la frénésie de l’information, celle des réponses par sms, mails ou autres, le temps qui se déroule comme un tapis roulant sous nos pieds, doit nous engager à lever le pied, à retrouver les vertus de la lenteur (p.85), à procrastiner (p. 105).

 

« Patience et longueur de temps, plus que force et que rage ». On a oublié les vieux adages populaires si plein de bon sens ! On veut tout réinventer aujourd’hui ! Eh bien, pourquoi ne pas re-découvrir ? Redécouvrir la lenteur, la patience, l’attente, la flânerie.

 

Car s’« il n’y a pas d’évidence à la lenteur », nous dit encore Mathias Leboeuf, la lenteur c’est ce qui permet de suspendre « le temps violentant », et la procrastination, c’est le « lent demain ».

 

En moins de cent-soixante-dix pages, l’on a compris la nécessité d’être lent. Faites-en l’expérience !

Écrire un commentaire

Optionnel