Céline Laurens, Adversus tenebras
Le troisième roman de Céline Laurens a reçu le prix de Jean-René Huguenin. Naissance d'un écrivain. Ma chronique parue dans Livr'arbitres.
Dans le tarot de Marseille, la carte de la maison Dieu peut signifier deux choses, selon qu’elle sort à l’endroit ou à l’envers : le changement ou la crise, la reconstruction ou la rupture, la régénérescence ou l’illusion. Arcane 16 du tarot, c’est la lame la plus terrible du jeu. On voit une tour en flammes dont deux hommes tombent. Une manière de marquer la fin et la destruction. Cette carte pouvant aussi symboliser la tour de Babel, et les idées d'orgueil, d’impérialisme et de richesse qui animent des hommes entraînés dans leur chute par la démesure, une hubris irrépressible. Cet arcane néfaste ou maléfique, et qui donne son titre au troisième roman de Céline Laurens, La Maison Dieu (Albin Michel, 2024), est évidemment un clin d’œil malicieux, facétieux aussi, à notre époque, dont les signes multiples d’une fin des fins se font douloureusement sentir.
L’histoire commence par la destruction par le feu d’une maison de maître dont les propriétaires sont retrouvés morts dans l’incendie. Imaginons que Céline Laurens décrive là la chute de Rome. Mais elle peut aussi, très subtilement retourner la question en un effondrement à venir de notre propre civilisation. Puisque là où Dieu frappe, toutes les mythologies nous le rapportent ainsi, l’homme est foudroyé. Mais on peut aussi voir cette chute de la maison des maîtres comme l’annonce d’une croissance, d’une puissance à venir. La romancière adopte ainsi, pour nous entraîner dans son idée, le point de vue de plusieurs protagonistes. Dont Élise, la bonne à tout faire, légèrement sorcière sur les bords (c’est à la mode aujourd’hui, mais reconnaissons que les sorcières n’ont jamais disparu ; elles ont été occultées par le nouveau paradigme scientiste) ; Abel, qui rappelle le meurtre fratricide de la Bible, et qui rappelle aussi la maison cosmique, la finitude de l’homme, l’arbre du bien et du mal. Esther également, Nicolas, Mallora. J’en passe. Les figures défilent. Les points de vue s’accumulent. Où peut bien se nicher la vérité ? Supposons qu’elle n’existe pas : les représentations humaines étant fragiles, des ébauches. Car nul homme ne peut rivaliser avec Dieu.
Mais le Christ veille.
Ce roman, couronné du prix Jean-René Huguenin, défie les modes, une certaine presse, prenant le parti de mêler sans complexe la religion catholique, le récit eschatologique, la trame mystique, entrecroisée d’ésotérisme. Prenant le ciel à témoin, le cosmos pour décrire cette histoire de transformation, de révolution dont l’effondrement n’est pas décrit comme une fin mais une conversion de l’individu, Céline Laurens nous raconte avec son talent habituel comment la foudre divine, faite pour punir l’orgueil des hommes, n’est jamais définitive, puisque le Dieu vengeur de l’Ancien testament est rédempteur dans les Évangiles. Ce roman racontant alors ce moment idéal pour renaître.